V13, d'Emmanuel Carrère aux éditions P.O.L.

Ce livre, écrit par un romancier réputé, n’est cependant pas un roman. Il s’agit plutôt d’une chronique judiciaire, la transcription des articles qu’Emmanuel Carrère publiait chaque semaine dans l’Obs lorsqu’il a suivi le procès des attentats du 13 novembre 2015.

Dans un style vivant, humain et tendre tout en ne cachant rien de la brutalité et de la monstruosité des attentats du Stade de France, des terrasses parisiennes et du Bataclan, l’auteur nous emmène dans la vie sombre de ce procès : les séquelles et les peurs de victimes, qui racontent toutes la même chose et avec chacune leurs mots et leurs sentiments, les attitudes – souvent incompréhensibles car non expliquées par leurs auteurs, parfois pleines d’humanité d’autres protagonistes – des accusés, le rôle primordial du juge, le professionnalisme des avocats du ministère public, des parties civiles et tout autant de la défense… tout au long de ce procès, nous revivons grâce à Emmanuel Carrère les quelques heures qui ont détruit à jamais plusieurs centaines de familles.

Tellement fin, tellement pur, tellement naturel que le lecteur se prend dans le livre et finit par oublier que malheureusement tout cela a été bien réel. Et quand il se rend compte que c’est vrai, il apprend vraiment sur le caractère des hommes.

Extrait choisi :

« 8 septembre 2021, midi, Ile de la Cité, sous haute protection policière. Nous sommes quelques centaines à franchir pour la première fois ces portiques de sécurité que nous allons franchir tous les jours pendant un an. Ces gendarmes à qui on dit bonjour, il y a des chances pour qu’on leur dise bonjour souvent. Ces avocats avec leur badge au bout d’un cordon noir, ces journalistes au cordon orange, ces victimes au cordon vert ou rouge, leurs visages vont devenir familiers. Certains vont devenir des amis : le petit groupe des gens avec qui on va faire la traversée, échanger notes et impressions, se relayer quand la journée sera trop longue et aller boire des coups, tard, à la brasserie des Deux Palais quand elle aura été trop éprouvante. La question qu’on se pose tous : tu comptes venir tout le temps ? Souvent ? Comment tu t’organises pour le reste de ta vie ? La famille ? Les enfants ? Certains, on le sait déjà, ne feront que passer, les jours qu’on peut prévoir les plus intenses. D’autres ont fait vœu de venir tous les jours, de vivre les temps morts autant que les temps forts. J’en fais partie. Est-ce que je tiendrai le coup ? » 

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